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Fine fellows, cannibals

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8 février 2009

Robinson

Depuis le temps que je le tue,
Isolée dans la blogosphère,
De Vendredi suis prisonnière,
Ami Samedi, m'entends-tu ?
Viens à mon appel éperdu,
Et me rends aux joies cavalières...





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26 décembre 2006

Récits d'un jeune médecin - Boulgakov

A la fin de ses études de médecine, Boulgakov a 23 ans et il est envoyé dans un village retiré de la province de Smolensk afin d'y diriger un hôpital de campagne. Bien qu'ayant brillamment obtenu son examen, il est bien conscient de son inexpérience et des superstitions de ses patients.

BoulgakovA la lecture de ce récit autobiographique, on réalise avec amusement que Boulgakov n'a nul besoin de personnages comme le Diable, qu'il met en scène dans le Maître et Marguerite, pour donner une atmosphère fantastique à son écriture. Son angoisse de faire une erreur et de torturer inutilement ses patients prend possession de tout son imaginaire, tandis que pourtant le jeune médecin fait face avec un apparent sang-froid et une parfaite efficacité. Il est difficile de ne pas être totalement saisi par ce court récit, qui mêle le témoignage émouvant d'un jeune homme scrupuleux et perfectionniste, et beaucoup d'humour pour conjurer l'angoisse du jeune médecin qui se serait bien passé de la lourde responsabilité des vies humaines qu'on lui confie jour après jour.

Dans ce passage, on amène au médecin une femme pour un accouchement difficile. Le bébé se présente de façon transversale et il faut opérer une version podalique (retourner le bébé) :

"les pages du Doderlein [manuel d'obstétrique chirurgicale] se mirent alors à défiler devant mes yeux. Version par manoeuvres externes... Version par manoeuvres mixtes... Version par manoeuvres internes... Des pages, des pages... et sur ces pages, des schémas. [...]

Je le lisais encore il n'y a pas si longtemps. Et je soulignais, réfléchissant attentivement à chaque mot, me représentant mentalement le lien entre chaque partie et les différents procédés. A la lecture, il me semblait que le texte entier s'imprimait à jamais dans mon cerveau. Mais à présent, de tout ce que j'avais lu, une seule phrase revenait à la surface :

'... la présentation transversable est une situation absolument fâcheuse.'

Pour une vérité, c'est une vérité. Absolument fâcheuse pour la femme elle-même, comme pour un médecin qui vient de terminer l'université il y a 6 mois. [...]

recits_jeune_medecin

Anna Nikolaïevna, accompagnée par les gémissements et les hurlements, me racontait comment mon prédécesseur, un chirurgien expérimenté, pratiquait les versions. Je l'écoutais avidement, m'efforçant de ne pas perdre un seul mot. Ces dix minutes-là m'apportèrent davantage que tout ce que j'avais pu lire en obstétrique pour les examens d'Etat, auxquels précisément en obstétrique, j'avais obtenu mention Très bien. Ces propos décousus, ces phrases inachevées, ces allusions lancées en passant m'apprirent l'indispensable qui ne figure dans aucun livre. Alors, comme je commençais à essuyer mes bras blancs et propres à souhait avec de la gaze stérilisée, un sentiment d'assurance m'envahit et un plan parfaitement défini, riguoureux, se forgea dans ma tête. Mixte ou pas mixte, je n'avais nul besoin d'y penser pour l'instant.

Tous ces mots savants étaient inutiles à présent. Une seule chose avait de l'importance : je devais introduire une main à l'intérieur, et de l'autre, aider la version, de l'extérieur. Puis sans compter sur les livres, mais sur le sentiment de mesure sans lequel un médecin ne serait bon à rien, je devais avec précaution, mais en insistant, faire descendre un pied, et par ce pied, tirer le bébé.

Je devais être très calme, prudent, et en même temps infiniment décidé, courageux.

[ Le médecin réussit la version ; la mère et l'enfant sont sauvés]

Il était un peu plus d'une heure du matin lorsque je revins chez moi. Dans mon cabinet, le Doderlein, ouvert à la page "les dangers de la version", était tranquillement posé sur la table, dans la tache de lumière de la lampe. Pendant près d'une heure encore, je restai à le feuilleter, avalant mon thé refroidi. Une chose intéressante se produisit alors : tous les passages restés obscurs devinrent tout à fait clairs, comme en pleine lumière, et là, près de la lampe, dans mon trou perdu, je compris, cette nuit-là, la valeur de la véritable connaissance."

17 décembre 2006

De sang froid

capote

T. Capote par H Cartier-Bresson en 1947

Truman Capote, c'est mon écrivain préféré, depuis au moins 15 ans, (ex aequo avec Boulgakov). De lui j'avais presque tout lu, sauf De sang froid, qui est considéré comme son chef d'oeuvre. Pourquoi, je ne sais pas. Peur de l'histoire, peut-être, ou peur de lire quelque chose de fondamentalement différent de ses autres oeuvres. J'aime les romans policiers, pas par amour du frisson (je hais le frisson), mais par goût de l'intrigue, du mystère qu'on reconstitue pièce par pièce, de la logique, du détail.

J'ai lu De sang froid et retrouvé Capote tel que je l'avais laissé : une écriture minutieuse et sobre, beaucoup de poésie sans emphase, et un regard fraternel pour le monde, une secrète compassion pour tous les enfants perdus.

L'histoire est bien connue aussi je ne fais que citer le sous-titre : le récit véridique d'un meurtre multiple (au Kansas en novembre 1959) et de ses conséquences. Après l'arrestation de ses auteurs, Capote va enquêter durant des mois et des années et même les rencontrer à de nombreuses reprises.

Quelle que soit la distance de Capote, son souci d'objectivité, il est frappant de voir combien la personne de Smith, un des assassins l'a touché, comme un "secret sharer", peut-être celui qu'il aurait été s'il n'avait pas été écrivain. On ne réalise cette proximité qu'à la fin de l'ouvrage, où l'auteur laisse échapper ici un sarcasme, là un jugement sur l'un ou l'autre des protagonistes, mais au fond, on peut la prévoir dès le début, car Perry Smith est un enfant meurtri comme Capote les affectionne, un de ceux qui vieillissent trop vite mais ne grandissent jamais.

in_cold_blood

"Un prêteur se souvint pourtant de Smith, ('il y a une bonne dizaine d'années que je le vois venir ici') et il fut à même de fournir un reçu pour un tapis en peau d'ours mis au clou durant la première semaine de novembre. C'est à partir de ce reçu que Nye avait obtenu l'adresse de la pension.

'- Arrivé le 30 octobre, dit la propriétaire, repartir le 11 novembre. ' Nye jeta un coup d'oeil sur la signature de Smith. L'ornementation exagérée, les fioritures et les circonvolutions recherchées l'étonnèrent ; réaction que la propriétaire devina apparemment car elle dit : '- hum hum ! Et vous devriez l'entendre parler. Des mots longs comme ça qu'il vous lance à la figure d'une sorte de voix feutrée et zézeyante. Un drôle de personnage. Qu'est-ce que vous lui voulez, un gentil petit voyou comme ça ?

- Violation de parole.

- hum hum! vous êtes venus du fin fond du Kansas pour une affaire comme ça. Eh bien, moi je suis qu'une blonde évaporée. J'vous crois. Mais allez pas raconter ça à une brune'."

10 décembre 2006

Traversée de la mangrove (Maryse Condé)

traversee_de_la_mangroveTraversée de la mangrove est une merveilleuse découverte.

Dès les premières pages, le lecteur est transporté ; certes Laconis, tu ne peux pas comprendre le dépaysement du lecteur métropolitain, mais il est bien réel à lire une prose sertie du vocabulaire créole, où le soleil se lève au devant-jour et se couche au serein. L'histoire se passe au milieu des années 80, mais au fond le récit est intemporel, et je me hâte de le dire, dépasse évidemment et de beaucoup la simple peinture pittoresque

"- Comme c'est vrai ! les problèmes de la vie, c'est comme les arbres. On voit le tronc, on voit les branches et les feuilles. Mais on ne voit pas les racines, cachées dans le fin fond de la terre. Or, ce qu'il faudrait connaître, c'est leur forme, leur nature, jusqu'où elles s'enfoncent pour chercher de l'eau, le terreau gras. Alors, peut-être, on comprendrait.

Il a soupiré : - Personne ne comprend jamais, Madame Ramsaran. Tout le monde a peur de comprendre. Ainsi moi, dès que j'ai essayé de comprendre, de demander des comptes pour tous ces morts, tout ce sang, on m'a traité de tous les noms. Dès que j'ai refusé de m'accommoder de slogans, on m'a eu à l'oeil et au bon. Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui essaie de comprendre !"

Rivière-au-Sel est comme un purgatoire pour ses habitants, qui sont venus volontairement ou non y porter le poids de leurs culpabilités ou celles de leurs pères, de leurs désillusions, de leurs vies sans amour, et qui subissent les autres comme un enfer. Qui est au fond est le mystérieux Francis Sanchez, le héros de cette longue nuit de veillée funèbre ? Chacun a son idée, radicale et contradictoire de celle des autres, mais celui qui a changé leur existence à tous diffère-t-il tant des habitants de Rivière-au-Sel ?

Maryse Condé leur donne la parole à tous, le temps de dépasser la quête vaine de la connaissance de l'autre pour s'attacher à ce qui transforme chacun dans la rencontre avec l'autre.

"On ne traverse pas la mangrove. On s'empale sur les racines des palétuviers. On s'enterre et on s'étouffe dans la boue saumâtre."

La Traversée de la mangrove est une vision de la vie sans complaisance, mais ce n'est pas une vision désespérée. Le fardeau de la vie n'est pas la mort ou bien les autres, c'est le manque d'amour, celui des lassitudes et des mariages forcés par la pauvreté, celui des solitudes, mais aussi et surtout le manque d'amour parental.

Ne connaissant que ce seul roman caribéen, j'ignore s'il s'agit d'une coïncidence ou d'un thème récurrent (qui me ferait alors penser à l'Enracinement de Simone Weil), mais en cela il s'approche de celui du livre de Jamaica Kincaid (plus de précisions ici). Tu peux sûrement répondre à cette question, Laconis ?

"Pour donner l'amour, il faut en avoir reçu beaucoup, beaucoup ! Moi je n'en avais jamais reçu. Je n'ai jamais fait que servir. [...] Aujourd'hui, Francis Sancher est mort. Cela n'est une fin que pour lui. Nous autres, nous vivons, nous continuons de vivre comme par le passé. Sans nous entendre.Sans nous aimer. Sans rien partager. La nuit combat et s'agrippe aux persiennes.  Bientôt cependant, il faudra qu'elle cède la place au jour et tous les coqs de tous les poulaillers vont chanter sa défaite. Les bananiers, les cases, les flancs de la montagne vont flotter peu à peu à la surface de l'ombre et se prépareront à endurer le grand jour. Nous saluerons le nouveau visage de demain. Je dirai à ma fille, mienne :

- Sortie de mon ventre, je t'ai mal aimée. Je ne t'ai pas aidée à éclore et tu as poussé rabougrie. Il n'est pas trop tard pour que nos yeux se rencontrent et que nos mains se touchent. Donne-moi ton pardon."

Maryse Condé nous interroge aussi sur le sens de la vie, et pour elle il me semble que la stérilité n'est pas la solution aux illusions perdues dans un combat stérile. On ne peut pas s'asseoir et attendre hypocritement la mort. On ne traverse pas la vie sans laisser son empreinte. On est au moins libre de choisir quelle empreinte. Mais on n'empêche pas la vie de suivre son cours, comme un fleuve qui ne revoit jamais les mêmes rives et ne charrie jamais tout à fait la même eau et la même boue.

9 décembre 2006

Une désolation

« Explique moi le mot heureux » : c’est la question lancinante que pose un père à son fils, dans le roman  Une désolation  de Yasmina Reza. Le père, Samuel Perlman, un vieillard misanthrope, atrabilaire, n’attend plus rien de la vie. Cynique, provocateur, misogyne mais sincère et émouvant car libéré de tout carcan social, il fustige une société devenue trop molle, désespérément bien-pensante et sans consistance. C’est l’occasion pour le héros de s’interroger sur l’accessibilité au bonheur,  l’inéluctabilité de la solitude, la difficulté d’être… L’auteure avec beaucoup d’humour et de maîtrise, renvoie ces interrogations au lecteur, en l’immergeant dans ce monologue éreintant.

Toute l’habilité de Y. Reza est de nous maintenir dans une position inconfortable vis-à-vis des propos du héros. De cet inconfort naît la réflexion. En accord avec son héros déplorant une société qui s’enlise dans un confort de surface, l’auteure interdit une lecture complaisante. Confronté à ce narrateur à la fois fragile et rebelle, grinçant et sincère, et servi par une plume virtuose,  les certitudes vacillent, le doute s’immisce : Samuel a-t-il raison ? Sommes nous condamnés à vivre dans un monde édulcoré, médiocre -et donc à avoir une vie médiocre-, où l’héroïsme a disparu ? A quelle distance se tenir de sa propre vie, de sa supposée réussite ? Le bonheur existe-t-il ?

Acculé à la rhétorique particulièrement efficace du héros, il nous faut réagir, prendre position, émerger, être plus que l’image de soi-même, bref, essayer de (re)-définir un possible rapport au monde.

Une désolation  de Yasmina Reza

«En une génération tu balaies le seul credo qui m’ait jamais animé. Moi dont la seule terreur est la monotonie des jours, moi qui pousserais les battants de l’enfer pour fuir cet ennemi mortel, j’ai un fils qui croupit dans le loisir. Peut-être as-tu su d’avance- quelle sagesse si c’était le cas !- qu’on était voué à être inférieur à soi. Chaque jour le monde m’a rétréci. Et j’ai eu beau, vois tu sans relâche, lutter contre ce rétrécissement, ce fut une bataille perdue d’avance. Aussi bien, me diras-tu, fort du désolant alliage de prosaïsme et de médiocrité qui semble être ta matière, à quoi bon la livrer ? Parce que n’importe quelle guerre aussi vaine soit-elle, aussi meurtrière soit elle, est supérieure au confort. Dans ma vie, j’aurai été littéralement tué, d’abord confiné, puis exécuté, par l’inertie des aspirants au confort. Tes copains. La horde de tes semblables. » 

« J’affirme que le seul système valable est le féodalisme, lequel avait le mérite de produire soit des nains qui fermaient leur gueule- et n’allaient pas nous emmerder avec le musée Picasso et autres veuleries culturelles- soit des chevaliers et des révolutionnaires, des types épiques qui maniaient le fer et la lance. Aujourd’hui on a des pancartes et des bonnes femmes comme vous qui chantent. Moi personnellement, ai-je répété, je préfère des vociférants assoiffés de sang qui brandissent des piques. Ça au moins, ça avait de la gueule »

« Mon petit, qui a goûté à l’action redoute l’accomplissement car il n’est rien de plus triste, de plus décoloré que la chose réalisée. Si je n’étais pas sans cesse en perpétuel devenir, il me faudrait alors lutter contre la mélancolie des achèvements, je ne vais quand même pas finir avec des vapeurs de bonne femme. A ton âge, je savais la conquête mais surtout, déjà, je savais la perte. Car je n’ai jamais souhaité, vois-tu, conquérir les choses pour les garder. Ni être qui que ce soit pour le rester. Au contraire. Dès que j’ai été quelqu’un, il m’a fallu le désagréger. N’être que le prochain de soi-même, mon petit. Il n’y a de satisfaction que dans l’espoir. »

« Il n’y a de réel qu’en soi, le monde n’est pas hors de soi »

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25 novembre 2006

Autobiographie de ma mère (Autobiography of my mother)

Les littératures caribéennes d'expression française, anglaise et espagnole constituent un ensemble d'oeuvres à la fois dotées d'une certaine homogénéité et d'une grande complexité, en ce qu'elles sont engagées dans une quête identitaire dans les méandres d'une histoire tourmentée, dont le référent majeur est la Colonisation et la Traite négrière. Sans rancoeur excessive ni misérabilisme de mauvais aloi, ces littératures jettent un regard à la fois lucide et perplexe sur un réel caribéen qu'elles cherchent à comprendre, avec comme présupposé de départ une foi inébranlable dans un mode d'exister, ancré dans l'interculturalité, le métissage, le brassage des ethnies, des religions et des peuples. Le destin des peuples caribéens témoigne ainsi d'une forme d'exemplarité, car dans ce petit bassin, des cultures d'horizons divers ont réussi à cohabiter sans génocide ni fracture irréversible, en dépit des névroses identitaires prégnantes, que la mondialisation risque encore d'exacerber. A travers l'écriture d'auteurs majeurs tels A. Césaire (proposé pour le Nobel 2005 qu'il a refusé), Alejo Carpentier (hispanophone),  Naipaul (anglophone), D. Walcott (anglophone ;Prix Nobel), J. Kincaid (anglophone, plusieurs fois récompensée aux Etats-Unis),  P. Chamoiseau (Prix Goncourt, 1992), R. Confiant (Prix Renaudot), G. Pineau (Prix Elle), S. Schwarz-Bart, M. Condé (Prix Casa de las Américas), R. Depestre, Frankétienne, E. Danticat, etc..., c'est tout un pan de la littérature mondiale qui trouve un nouvel écho, un rythme foisonnant d'oralité, de mots oubliés qui fascinent, dérangent, mais ne peuvent laisser indifférents.  A découvrir absolument !!!

Premier auteur à découvrir : Jamaica Kincaid

Autobiographie de ma mère de Jamaica Kincaid est l'un des romans les plus étonnants qu'il m'ait été donné de lire. Originaire d'Antigua, l'auteure (la féminisation est permise !!!) nous entraîne dans un univers tout à la fois dépouillé et riche en émotions. L'héroïne, qui est aussi la narratrice, jette un regard distant sur elle-même ; orpheline de mère de naissance, elle appréhende ce drame originel de manière quasi-philosophique en considérant que l'absence de la figure maternelle l'a plongée d'emblée dans le gouffre de l'éternité. Point de départ d'une vie sans amour, "en mode survie" et où la seule échappatoire consiste à apprendre à s'aimer soi. Or, comment s'aimer quand l'image de soi relève d'une fêlure, d'une brisure collective, face au regard d'un Autre, destructeur, hautain ? Enfant caraïbe, survivante d'un peuple dont la disparition a été programmée en sourdine, l'héroïne (ou plutôt l'anti-héroïne) détourne les lois, les contourne sans état d'âme, envisage le monde sans complaisance envers elle-même ni envers quiconque, développe une sexualité solitaire, dans une perspective autarcique qui renvoie à la solitude de l'être dans le monde. Réflexion sur la décolonisation, sur la philosophie de la domination,mais aussi sur la place de l'homme dans le monde, Autobiographie de ma mère est une écriture de soi dans l'autre, projection de l'enfant dans sa mère et dans les enfants dont elle avorte à chaque fois et qui ne verront jamais le jour. Magie d'une plume qui, en croyant parler d'elle-même, parle de cette mère qu'elle n'a jamais connue et de la fragilité d'une communauté orpheline d'une histoire propre, d'un passé, d'une identité dont le manque agit sur le présent et mais aussi sur un avenir qui a le visage du néant.

Autobiographie de ma mère , JAMAICA KINCAID (éd. Albin Michel), p.210-211

"Avant que nous soyons mariés et peu après le mariage, nous vivions dans la capitale de la Dominique, Roseau. Dans des lieux comme Roseau, des guerres se livrent, mais il n'y a pas de victoire, juste une trêve, juste un jusqu'à-la-prochaine-fois.Nous sommes partis de Roseau dans un état d'esprit, un calme, qui était presque divin, car c'était au-delà de tout propos délibéré et au-delà de toute impulsion. Nous avons déménagé dans un lieu situé très haut sur une montagne, mais pas au sommet de la plus haute montagne. C'était un lieu où se reposer. Nous étions fatigués; nous étions fatigués d'être nous-mêmes, fatigués de notre propre héritage.[...]"

Prochains auteurs caribéens à découvrir :

Aimé Césaire : Cahier d'un retour au pays natal ; Patrick Chamoiseau : Texaco

Prochains livres (littérature "hexagonale") :

Une désolation de Yasmina Reza

Le maître des chimères de Yann Queffélec

25 novembre 2006

Croyants et philosophes

ferry_apprendre_a_vivreLaconis m'a conseillé l'ouvrage du philosophe Luc Ferry, son Traité de philosophie à l'usage des jeunes générations. Soulignons d'emblée que Ferry tient ses promesses : sans jargon et très didactique, son livre me donnerait presque l'impression que je peux comprendre la philosophie.

J'ai tellement compris (mais peut-être pas, finalement ?) que je suis même en désaccord avec lui, sur certains points, à commencer par la frontière qu'il établit entre les croyants et les philosophes.

Pour lui, le croyant ne saurait être philosophe, car il a résolu l'angoisse de la mort par la Foi, ce qu'il analyse par une capitulation de la Raison au profit de la croyance. En effet, le croyant admet que quel que soit le travail qu'il fait de sa raison, il y a un moment où il doit admettre des choses sans les comprendre et faire confiance. Cependant, sa situation n'est pas si opposée, à mon avis, à celle du philosophe, pour 4 raisons au moins.

  • Ferry part du principe que ce qui fait adhérer le croyant à sa Foi, c'est l'angoisse de la mort qu'il a résolue de cette façon. C'est là prendre un point de vue de philosophe, qui imagine le croyant à la croisée des chemins Raison ou Foi. Le croyant lui, sait bien que ce qui le fait adhérer à sa foi, c'est qu'elle s'impose à lui. L'idée d'une vie après la mort, pour séduisante qu'elle soit, n'est pas la raison de sa foi, car la foi est si éloignée de la raison qu'elle n'est même pas un renoncement à l'exercice de la raison. Pour autant qu'il ait la foi, le croyant ne cesse pas forcément de réfléchir et de douter : chez les croyants comme les incroyants, il y a ceux qui se posent des questions et ceux qui ne s'en posent pas.
  • Par ailleurs, la foi en une vie après la mort n'est pas une consolation, quoi qu'on en pense, contre la séparation et la souffrance qui doivent être subies par tous, croyant ou incroyant. La foi est pour certains une consolation, pas pour tous, et pas toujours pour la même chose : elle peut être une consolation contre l'injustice. La croyance en un Monde Juste est peut-être une façon d'accepter l'injustice contre laquelle nous sommes impuissants.
  • Ensuite, penser que le philosophe ne renonce jamais à la raison au profit de la croyance est une idée candide il me semble. Il est autant de philosophies que de philosophes. Si la raison était autant à l'oeuvre chez les philosophes, au détriment de toute influence personnelle liée au passé ou au contexte, tous arriveraient au même résultat sans doute. Si l'exercice pur de la Raison permet autant de réponses différentes, eh bien, peut-être ne faudrait-il pas l'estimer si supérieure à la foi ;
  • Enfin, l'existence de la foi n'est en rien incompatible avec l'exercice de la Raison : ce qui est contestable, c'est lorsque la foi impose un point d'arrivée à la raison, comme le voit ces temps-ci avec l'antidarwinisme en vogue aux Etats-Unis, mais aussi ailleurs.

17 novembre 2006

Les prochains

On m'a aussi conseillé :

  • La boîte en os d'Antoinette Peske
  • les bouquins de Jean-Pierre Enard (sur Proust je crois)
17 novembre 2006

Les prochains

On m'a conseillé :

  • L'empire de l'éphémère, de G. Lipovetsky
  • L'esclave-maître, de D Quesada

12 novembre 2006

Philosophies de l'innovation

A écouter absolument, la conférence du passionnant Marc Giget, professeur d'innovation au CNAM (ainsi que toutes ses autres conférences ;-) :

Philosophes et philosophies de l'innovation

Il y parle d'Héraclite, de Thalès, de Démocrite, d'Archimède, de Socrate et Platon, d'Einstein...

Il vous conseille l'ouvrage d'Einstein (dans la lignée de Platon) : Comment je vois le monde (accessible paraît-il).

On apprend dans cette conférence que Thalès avait un jour, prévoyant une magnifique récolte d'olives, loué en avance tous les pressoirs qu'il avait cédés à prix d'or au moment de la récolte : il avait ainsi prouvé qu'il pouvait s'enrichir, mais que ça n'était pas son but. Il était pourtant marchand de profession... Il inventait alors la spéculation.

On y apprend aussi que c'est Démocrite qui a inventé la notion d'atomes crochus : il avait imaginé l'atome bien 2000 ans avant qu'on puisse le prouver.

On apprend encore que les grecs qui avaient un culte de la beauté, ont été aussi capables d'imaginer le concept de beauté intérieure : Platon est si laid, mais ce qu'il écrit est si beau !

On ne s'étonne pas que la France soit le pays qui ait interdit l'imprimerie le plus longtemps : on craignait que tout le monde imprime tout et n'importe quoi.

Gottfried_Wilhelm_von_LeibnizLeibniz, qui était obsédé par la simplification, a imaginé de ramener l'expression chiffrée à des 0 et des 1. Il est ainsi considéré comme le père de l'informatique.

Et tant d'autres choses encore...

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